Un contexte de mutation : La Champagne de la Belle Époque et la naissance d’une ambition

Au seuil du XX siècle, Reims vibrait au rythme des vendanges et des révolutions industrielles. Dans une Champagne marquée par la modernité grandissante mais aussi par les remous sociaux, la création de la Maison Castelnau incarne à la fois l’héritage de la tradition et l’audace du renouveau.

Fondée en 1916, la Maison Castelnau voit le jour au cœur d’une période où la Champagne, encore sous le choc du début de la Grande Guerre, cherche à préserver son patrimoine tout en envisageant de nouvelles voies de développement. À cette date, Reims, déjà surnommée la « cité des sacres », été profondément marquée par les destructions massives causées par les bombardements. C’est dans ces circonstances difficiles que naît l’idée d’un projet collectif, porté par des vignerons et négociants désireux de garantir la pérennité et la qualité de leur production.

1916 : Une fondation atypique au cœur de la Grande Guerre

Il est, à première vue, paradoxal de voir une nouvelle maison de Champagne s’établir en 1916, alors même que la région subit de plein fouet les tourments de la guerre. Pourtant, c’est précisément cette adversité qui a renforcé la détermination des fondateurs de la Maison Castelnau.

  • Date de fondation : 1916
  • Lieu : Reims, l'une des capitales historiques du Champagne
  • Contexte : Première Guerre mondiale, alors que les maisons majeures de la région cherchent à faire face à la crise et à sauvegarder leur avenir.

La maison emprunte son nom au général Édouard de Curières de Castelnau, figure emblématique de la résistance française lors du conflit. Plus qu’un hommage, ce choix révèle l’esprit d’abnégation, de courage collectif et de tradition qui anime la maison dès sa naissance.

Des origines coopératives : Un modèle unique en Champagne

Contrairement à d’autres maisons issues d’initiatives individuelles ou familiales, Castelnau est la résultante d’une dynamique collective révolutionnaire pour son époque. À l’initiative de ce projet, un groupe de vignerons réunis sous forme de coopérative – une forme encore peu répandue sur le territoire champenois au début du XX siècle.

Pourquoi une coopérative dans le contexte de 1916 ?

  • Partage des risques : Les vignerons souhaitaient mutualiser la production et la commercialisation face à l’incertitude du marché et aux difficultés engendrées par la guerre.
  • Proximité au terroir : Chacun des membres avait la volonté de valoriser la qualité de son vignoble tout en ayant accès à des infrastructures modernes collectives.
  • Vision de long terme : Le projet s’inscrit dans la volonté de garantir un revenu stable et équitable pour les coopérateurs, à une époque où les déséquilibres étaient très marqués dans la filière.

Cette démarche pionnière s’inscrit dans la continuité du développement des unions coopératives champenoises, qui poursuivront leur essor surtout après la Seconde Guerre mondiale. En ce sens, Castelnau fait figure de précurseur et deviendra plus tard l’un des fleurons de l’Union des Producteurs de Champagne (UPC), aujourd’hui renommée Coopérative Régionale des Vins de Champagne – CRVC.

Les fondateurs et figures marquantes : Acteurs de l’histoire rémoise et champenoise

Aux origines de la maison Castelnau, on retrouve des visages désormais anonymes, majoritairement issus de la viticulture locale, mais aussi quelques négociants éclairés. Leur objectif n’est pas la quête immédiate de gloire ou la production de volumes, mais la défense d’une certaine idée du champagne : collectif, authentique, et pérenne.

  • Une volonté commune de rester indépendants vis-à-vis des grandes maisons traditionnelles rémoises, tout en s’appuyant sur des infrastructures solides.
  • Une recherche constante d’excellence, notamment à travers l’acquisition de vignobles de grande qualité sur la Montagne de Reims, la Vallée de la Marne ou la Côte des Blancs.

Le nom de la maison fait aussi référence à des valeurs partagées par le général de Castelnau lui-même : ténacité, sens du devoir, et fidélité aux racines françaises. En ces temps troublés, ces valeurs font écho aux aspirations profondes de la communauté champenoise locale.

Les débuts marquants : De la pérennité à l’innovation

À la différence de certaines maisons fondées par des familles « historiques », la Maison Castelnau se distingue dès ses débuts par :

  • Sa capacité de résilience : Les locaux, installés rue Gosset à Reims, résistent aux dommages de la guerre grâce à la solidarité entre associés.
  • Son engagement dans l’innovation : Dès les années 1920, la maison investit dans des équipements de pointe pour garantir une production régulière et qualitative malgré les aléas du contexte post-conflit.
  • Son ancrage territorial : Castelnau privilégie dès l’origine une sélection rigoureuse des raisins issus de différents crus, reflétant ainsi la diversité du terroir champenois.

Le premier millésime marquant, mis en cave dans l’immédiat après-guerre, porteur d’un message d’espoir et de renouveau. Le choix des méthodes traditionnelles alliées à une volonté de modernité formera la colonne vertébrale de l’identité Castelnau – « Le champagne né de la passion collective », selon la devise maison.

Le champagne Castelnau à travers l’entre-deux-guerres : Croissance, identité et reconnaissance

Durant les décennies 1920-1930, la maison poursuit sa croissance, portée par la reprise économique de la région et la soif d’optimisme de l’entre-deux-guerres. La coopérative, forte de son modèle participatif, attire de nouveaux vignerons et diversifie progressivement ses assemblages.

  • En 1925 : Plus de 150 hectares de vignes sont regroupés dans le giron de la coopérative, permettant une belle homogénéité dans les cuvées produites (source : Daniel Lorson, « Le Champagne de la Belle Époque à nos jours »).
  • Premières distinctions : Les champagnes Castelnau remportent leurs premières médailles lors d’expositions internationales dans les années 1930, affirmant la qualité du travail coopératif rémois.
  • Accent sur la durée d’élevage : Dès ses premières créations, Castelnau se distingue par des temps de vieillissement supérieurs à la moyenne régionale (plus de 6 ans sur lattes pour certaines cuvées), gage de finesse et de complexité aromatique.

L’héritage et l’ancrage rémois : Une Maison qui incarne le patrimoine d’hier et l’audace du futur

Tout au long du XX siècle, la Maison Castelnau continue de faire évoluer son modèle coopératif, aujourd’hui associé à la CRVC, rassemblant plus de 900 vignerons et couvrant près de 900 hectares de vignobles (source : CRVC Champagne Castelnau, chiffres 2023).

  • Reims, épicentre de la tradition Castelnau : L’implantation historique rue Gosset rappelle l’importance stratégique de la ville dans la diffusion du champagne en France et à l’international.
  • Modernisation continue : La maison, fidèle à son esprit originel, investit depuis la fin du XX siècle dans la recherche œnologique, la vinification parcellaire et la durabilité environnementale.
  • Rayonnement international : Plus de la moitié de la production est aujourd’hui exportée, preuve de la vitalité du collectif Castelnau sur les marchés internationaux (source : L’Union, 2022).

Regards sur le futur et l’éveil des sens

L’histoire de la fondation de la Maison Castelnau n’est pas figée dans la pierre ; elle continue de se réinventer, portée par l’élan de passionnés qui perpétuent la mémoire collective des vignerons visionnaires de 1916. En choisissant le modèle coopératif, Castelnau a anticipé l’évolution d’une Champagne où chaque terroir, chaque cépage, chaque main compte et s’exprime dans la richesse des cuvées proposées.

Aujourd’hui, lever une flûte de Castelnau, c’est renouer le fil d’une aventure humaine au cœur de Reims, où la solidarité, l’engagement et l’authenticité écrivent encore chaque page de la grande histoire champenoise.

Pour qui souhaite découvrir la Champagne autrement, revenir à la source de Castelnau, c’est comprendre que l’excellence n’est jamais le fruit du hasard, mais bien celui d’un collectif animé par la passion du terroir et le souci du détail.

Sources : Daniel Lorson, « Le Champagne de la Belle Époque à nos jours » ; CRVC Champagne Castelnau ; L’Union.

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