Castelnau, témoin et acteur de l’histoire du champagne à Reims

Fondée en 1916, la Maison Castelnau a vu le jour en pleine Première Guerre mondiale, une époque charnière pour la Champagne et particulièrement pour la ville de Reims, alors en première ligne du conflit. C’est à l’initiative d’un groupe de vignerons visionnaires qu’est née cette maison, mue par le désir d’affirmer leur savoir-faire en pleine tourmente. Le nom de Castelnau rend hommage au général Édouard de Curières de Castelnau, figure héroïque de la Grande Guerre, incarnant stabilité et résilience. Ce choix prend une dimension particulière à Reims, ville martyrisée dont la reconstruction et la vitalité sont intimement liées à la réussite de ses maisons de champagne.

Implantée dans le quartier Saint-Remi, la maison bénéficie dès ses débuts d'un ancrage dans le terroir rémois. Dès la première cuvée, l'identité de Castelnau se distingue par un assemblage audacieux et par la volonté d’obtenir des champagnes de longue garde – une singularité qui perdurera au fil du temps.

L’après-guerre marque une période d’effervescence où Reims reconquiert sa place de cité du champagne. La maison Castelnau, jeune mais déterminée, s’inscrit dans cette dynamique en innovant dans la vinification et la gestion des approvisionnements. Aux lendemains du conflit, la Champagne s’organise : l’Union Champagne (future Coopérative Régionale des Vins de Champagne), créée en 1962 et qui rassemblera plus tard Castelnau, pose les jalons d’une mutualisation exemplaire des connaissances et des ressources viticoles.

Les années 1920 et 1930 voient la maison étoffer son réseau. Elle privilégie déjà les cépages Pinot Noir et Chardonnay, mettant en avant la richesse des crus de la Montagne de Reims. Dans la diversité des champagnes, Castelnau se démarque notamment par la finesse et la structure de ses vins de garde.

• En 1927, la Champagne obtient l’Appellation d’Origine Contrôlée (AOC), consacrant encore davantage le prestige du terroir rémois (source : Comité Champagne).
• Castelnau développe à cette époque des collaborations marquantes avec des restaurants et des brasseries, notamment à Paris, favorisant sa notoriété au-delà de la Champagne.

La Seconde Guerre mondiale frappe durement la région. Les caves champenoises servent alors d’abris pour la population rémoise, mais aussi de lieux clandestins pour la résistance. Castelnau, comme nombre de maisons, protège ses stocks dans les crayères et poursuit tant bien que mal ses activités. Les années 1940 sont marquées par des vendanges difficiles et un approvisionnement souvent contrarié.

À la Libération, la maison s’engage dans la reconstruction du vignoble, très abîmé par les combats et par la crise du phylloxéra. C’est à cette période que Castelnau renforce ses liens avec la communauté viticole rémoise et jette les bases d’un partenariat solide avec les vignerons de la Montagne de Reims et de la Côte des Blancs.

• Dans les années 1950, la production de champagne à Reims repart à la hausse : de 28 millions de bouteilles en 1950 à 57 millions en 1960 (source : CIVC / Comité Champagne).
• Castelnau investit régulièrement dans la modernisation de ses caves et de sa cuverie, adoptant très tôt les nouvelles techniques de thermorégulation et de fermentation en acier inoxydable.

Années 1960-1970 : la Champagne connaît un bouleversement structurel. L’Union Champagne, créée en 1962, regroupe plusieurs coopératives régionales avec, pour objectif, une production de qualité au service de maisons fédératrices comme Castelnau. C’est en 2003 que la marque « Champagne de Castelnau » rejoint pleinement le giron de l’Union Champagne, s’ouvrant ainsi à l’expertise de près de 900 vignerons, soit plus de 900 hectares de vignes (source : Champagne Castelnau).

Cet élargissement permet à Castelnau de sélectionner ses crus parmi 149 villages, soit 63% des crus répertoriés dans la région, un fait rare parmi les grandes maisons champenoises. La dimension collective renforce l’exigence qualitative : traçabilité des parcelles, maîtrise des rendements et innovation dans la vinification deviennent la règle. La diversité des cépages – Pinot Noir, Chardonnay mais surtout un très haut pourcentage de Pinot Meunier (40% dans certaines cuvées) – illustre l’esprit pionnier de la maison.

• En 1973, les premières vendanges intégralement mécanisées sont initiées, révélant l’avance technique de la coopérative (source : “Histoire de la Champagne”, Pierre Mesnard).
• Castelnau introduit dans les années 1990 un vieillissement sur lies exceptionnellement long : leurs champagnes bénéficient fréquemment de 6 à 12 ans de repos, là où l’exigence légale n’impose que 15 mois pour un brut non millésimé.

Au tournant du XXIe siècle, le monde du champagne se métamorphose : essor du bio, montée en puissance de la viticulture durable, précision accrue dans les assemblages. La maison Castelnau, guidée par son chef de caves Pascal Lebon (2016-2022), puis Loïc Marteaux, mise sur une approche quasi-artisanale dans le choix de ses vins de base : faible dosage, prolongement des sur-lies, valorisation du terroir rémois.

La maison se distingue par ses cuvées Extra Brut et Brut Réserve, plébiscitées pour leur équilibre et leur complexité aromatique. L’influence du vieillissement est notable : la gamme “Réserve”, par exemple, bénéficie d’au moins 6 ans d’élaboration, révélant des arômes de fruits secs, de fleurs blanches et une tension minérale propre au style rémois.

• Production annuelle : entre 1 et 1,5 million de bouteilles, distribuées à 60% à l’export, avec de solides prescripteurs au Royaume-Uni et au Japon (source : Drinks International, 2023).
• La maison obtient plusieurs distinctions sur la décennie 2010, dont la médaille d’or au Concours Mondial de Bruxelles (2016) pour la cuvée "Brut Réserve".

La relation entre Castelnau et la ville de Reims reste viscéralement inscrite dans le patrimoine champenois. La maison s’implique activement dans la vie culturelle rémoise : soutien au festival Jazzus, accueil de résidences d’artistes dans ses caves historiques de la rue Gosset. Les crayères de Castelnau – creusées à 20 mètres sous terre – constituent un impressionnant labyrinthe de 6 kilomètres où mûrissent patiemment les vins, mais aussi un haut-lieu de la mémoire locale, marqué par les gravures laissées par les réfugiés pendant les guerres.

Le choix d’un ancrage local fort transparait aussi dans l’engagement de la maison en faveur du développement durable, avec :

• Le recours progressif à la viticulture HVE (Haute Valeur Environnementale) sur la majorité des parcelles partenaires.
• La limitation des intrants œnologiques, la gestion responsable de l’eau et des déchets, ainsi que le recours accru à l’énergie renouvelable.

En outre, Castelnau participe depuis 2015 au projet collectif “Vignes semi-urbaines”, visant à réhabiliter plusieurs hectares de vignes anciennes autour de l’agglomération rémoise, un projet salué par la Ville et le Comité Champagne.

La trajectoire de la maison Castelnau illustre la capacité du champagne à tisser un lien entre permanence du terroir et adaptabilité. De la fondation lors de la Grande Guerre à la révolution coopérative, en passant par les défis des guerres mondiales et de la modernisation, l’histoire de Castelnau épouse les grands mouvements de la Champagne rémoise.

Face à la diversité des influences, la maison a su développer, en près d’un siècle d’existence, une identité singulière : attachement au territoire, respect de la mémoire collective, mais aussi ouverture à l’innovation. Castelnau s’impose aujourd’hui comme une maison où chaque cuvée raconte une page de l’Histoire, offrant à ses amateurs un champagne enraciné dans le sol de Reims tout en s’envolant vers d’autres horizons.

Découvrir l’histoire de Castelnau, c’est saisir combien la Champagne et ses maisons, à l’image de la mosaïque des terroirs rémois, forment un récit vivant où chaque millésime perpétue le lien entre passé et futur, tradition et créativité.