Quand l’Histoire rencontre l’effervescence : les grandes dates qui ont façonné le champagne à Reims

Dès le Moyen Âge, Reims brille d’un éclat singulier en France. C’est dans sa cathédrale majestueuse, chef-d’œuvre gothique classé au patrimoine mondial de l’UNESCO, que fut sacré Clovis en 496, selon la tradition, marquant le début d'une longue lignée de rois célébrés à Reims. Pendant un millénaire, de 816 avec Louis le Pieux à 1825 avec Charles X, la quasi-totalité des souverains français furent couronnés dans la cité rémoise. Mais quel lien avec le champagne ? Un lien insoupçonné mais déterminant.

• Le vin des sacres : Durant ces grandes cérémonies, les festins royaux faisaient la part belle au vin de Champagne – alors encore tranquille (non effervescent) – servi à profusion aux dignitaires et invités. Le prestige associé à la ville durant ces jours fastueux rejaillit bientôt sur ses productions vinicoles.
• Naissance d’une notoriété : Ce sont ces banquets et réceptions, tenus sur plusieurs jours, qui inscrivirent peu à peu le "vin de Reims" dans la mémoire collective, bien avant l’avènement du champagne mousseux tel que nous le connaissons.

Le sacre, événement fondateur de la royauté française, fit de Reims la vitrine de l’art de recevoir, précipitant l’association du vin local à la grandeur monarchique et au raffinement.

La légende veut que le champagne naisse d’un hasard alchimique dans les celliers de l’abbaye de Hautvillers, à quelques encablures de Reims, sous l’impulsion du moine Dom Pierre Pérignon dans les années 1660-1670. Mais l’innovation est en réalité collective, partagée par tout le terroir rémois.

• Maitrise de la prise de mousse : Le climat frais et la craie rémoise favorisent une deuxième fermentation inattendue au printemps, dite "prise de mousse". D’abord redoutée pour les explosions de bouteilles, elle devient progressivement maîtrisée.
• Verres et bouchons adaptés : À partir du XVIIe siècle, la fabrication de bouteilles plus épaisses à Reims – notamment à la verrerie royale fondée en 1666 – permet de contenir la pression, tandis que le bouchon de liège, importé du Portugal, scelle l’effervescence (Source : Comité Champagne).

C’est en ce siècle charnière que s’élaborent les premières cuvées effervescentes régulières, notamment grâce au savoir-faire des celliers rémois et à la recherche d’une "méthode champenoise" unique. Dès 1728, Louis XV autorise le transport du vin de Champagne en bouteilles (et non plus seulement en tonneaux), ouvrant ainsi la voie à un commerce accru et à la naissance des premières maisons, dont certaines sont aujourd’hui emblématiques du patrimoine rémois.

Le XIXe siècle marque l’avènement de la "Maison de Champagne" moderne à Reims, à travers des bouleversements historiques et des avancées techniques majeures.

Un essor forgé par la tourmente

• Révolution et Empire : La Révolution de 1789 provoque l’effondrement des clientèles aristocratiques. Les maisons rémoises, dont la Maison Castelnau au début du XXe siècle, s’adaptent en se tournant vers les marchés étrangers, amorçant la conquête européenne : dès le début du XIXe, la Russie, l’Angleterre et l’Allemagne deviennent de grands amateurs de champagne.
• Les guerres napoléoniennes : Les soldats de Napoléon popularisent le "sabrage" dans les caves de Reims – geste qui scelle le lien entre l’art militaire et le vin effervescent (Source : Le Figaro Vin, 2018).

Naissance et rayonnement des Maisons rémoises

• Fondations majeures : 33 des actuelles grandes maisons de champagne voient le jour entre 1800 et 1850, dont nombre d'entre elles à Reims (Veuve Clicquot en 1772, Louis Roederer en 1776, puis Castelnau en 1916, etc.).
• Réseaux d’exportation : Au tournant du siècle, la moitié des ventes de champagne rémois s’effectue hors de France, Reims devenant le cœur commercial du vignoble effervescent (Source : CIVC, Comité Champagne).
• Pratiques œnologiques : Les maisons rémoises perfectionnent l’art de l’assemblage et du vieillissement en crayères, offrant aux cuvées une expression unique révélée par la patience et le temps. Les crayères, anciennes carrières gallo-romaines datant du IIIe siècle, sont transformées en caves où le champagne acquiert finesse et complexité.

Le XIXe siècle, ponctué d’épisodes tumultueux mais aussi d’extraordinaire vitalité, scelle le destin international du champagne grâce à la vision et l’endurance des maisons de Reims.

Reims, située en première ligne lors des deux conflits mondiaux, aurait pu voir son élan brisé. Au contraire, la guerre forge l’esprit et la solidarité de la Champagne.

• Première Guerre mondiale : La ville est le théâtre de combats violents, bombardée dès septembre 1914. Les caves de champagne servent alors de refuges pour la population et les œuvres d’art – la cathédrale essuie 300 obus rien que lors d’un bombardement (Source : Ville de Reims, Archives municipale).
• Économie et reconstruction : Après l’Armistice, les rémois relancent la production, redoublant d’inventivité pour restaurer les vignes détruites et retrouver les marchés internationaux.
• Seconde Guerre mondiale : Dès 1940, les Allemands occupent la ville et réquisitionnent une partie des stocks. Les maisons protègent leurs meilleurs crus en multipliant les caches dans les crayères – on estime que près de 30 millions de bouteilles étaient abritées alors sous Reims (Source : Champagne Club, 2015).
• Capitulation allemande : Un événement historique mondial a lieu dans la ville de Reims le 7 mai 1945 : la signature de la reddition allemande mettant fin à la Seconde Guerre mondiale en Europe dans l’ancien collège St-Jean-Baptiste-de-La-Salle. Le champagne accompagne en coulisses les célébrations de la paix retrouvée.

Ces épreuves font naître autour du champagne un sentiment de fierté et d’identité collective : ce vin, indissociable de la ville, symbolise alors autant la constance que la capacité de résilience.

Renouveau et rayonnement d’après-guerre

Les "Trente Glorieuses" voient Reims, ville modernisée et dynamique, se réinstaller comme capitale du champagne.

• Explosion de la demande : Les années 1950-1970 marquent une croissance soutenue de la production, portée par l’engouement international. En 1969, 100 millions de bouteilles sont expédiées depuis la Champagne ; elles seront 300 millions dans les années 2010 (Source : Comité Champagne).
• Innovation et qualité : Les progrès œnologiques dopent la régularité et la qualité des cuvées, tandis que des maisons rémoises comme Castelnau participent à l’émergence de styles distinctifs, contribuant à la diversité de l’offre.

Le patrimoine mondial et la reconnaissance UNESCO

• Classement UNESCO : En juillet 2015, les "Coteaux, Maisons et Caves de Champagne", dont de nombreux sites à Reims, sont inscrits au patrimoine mondial. Ce classement entérine l’apport exceptionnel de la ville à l’histoire du champagne (Source : UNESCO).
• Tourisme œnologique : Reims devient un pilier de la Route du Champagne, attirant chaque année plus de 500 000 visiteurs venus partager l’expérience unique de ses caves, de la dégustation à la découverte architecturale (Source : Office du Tourisme de Reims).

Aujourd’hui, Reims continue de vivifier l’esprit du champagne, entre traditions séculaires, innovation constante et volonté de transmission.

Le passé de Reims, traversé par des événements hors du commun, a ciselé l’essence même du champagne. Les sacres, révolutions, blessures de guerre et renaissances ont forgé une identité unique, faite d’audace, de savoir-faire et de fierté, que chaque flûte de champagne prolonge aujourd’hui. Explorer les ruelles de Reims, c’est marcher à la rencontre de cette histoire vivante, partager l’intensité d’une culture qui se célèbre dans le verre et dans le cœur. Rien n’est jamais figé à Reims : le champagne, fruit de tant de passages et de métamorphoses, continue d’y écrire les pages de son Histoire… et d’inviter le monde entier à la fête.